Dernière actualité sur mon roman l’arbre turquoise
Actualité sur l’édition
Deux romans sont en cours, dont un corrigé.
L’arbre turquoise
Issus d’un mouvement anabaptiste, Ivan, Rachel et leur fils
Mikhaïl, paysans épris de vérité, engagés dans le mouvement
pacifiste toltoïen, fuient la guerre civile en Russie pour
trouver une terre de paix. De rencontres en péripéties, ils vont
au-delà de la liberté à laquelle ils aspirent : ils découvrent la
voie turquoise de la réconciliation, l’arbre de vie planté jadis
par les grand-mères.
J’ai eu l’occasion de côtoyer des Anabaptistes et je suis engagé sur la voie de la non-violence. Tolstoï est présent tout le long du roman, par des citations et des réflexions d’Ivan et de Rachel. Le roman s’achève dans le pays de ma compagne et les racines de mes enfants.
Actualité : quelques extraits
Première citation
Rapprochement
« Le problème, aujourd’hui, est le suivant, avec cette alternative : ou bien comprendre que nous rejetons tout enseignement moral et religieux et que notre vie se construit uniquement sur le pouvoir du plus fort, ou bien que notre devoir est de supprimer notre régime bâti sur
la violence, avec ses impôts, ses institutions juridiques et policières et, avant tout, ses armées. »
Lev Nikolaïévitch Tolstoï
Hiver 1923
Une ligne de chevreuils ondulait vers la forêt en une vague dorée striée de blanc. Du haut de leur talus, une multitude de points jaunes et fixes les guettait. Les loups aux muscles serrés et babines retroussées dressèrent soudain leurs oreilles. Ils se détachèrent de leur proie pour s’écraser de l’autre côté de leur poste d’observation. Des migrants serpentaient entre les collines. Une traînée silencieuse de chaussures usées et de couvre-chefs poussiéreux. Depuis ses sommets ou de son fleuve, l’Oural les pleurait en de longues larmes enneigées. Une buée givrée de peur s’étirant dans les prairies nomades peuplées d’arbres esseulés, d’antilopes et de gerbilles. Comme les bras de la Volga, les fuyards ignoraient les frontières de la Russie. Ils piétinaient les herbes et les sables gelés de l’aride Kazakhstan puis déviaient vers les monts caucasiens, en évitant les villes ou les villages. Ils tricotaient leur voyage de mailles astrakans et cosaques pour toujours revenir en Russie ; leur berceau qui, telle une mère enserrant son enfant pour mieux s’en détacher, les aimantait à mesure qu’ils s’en éloignaient.
Encore sous le choc de la guerre civile, de la désorganisation et de la famine qui en suivit, ils prenaient à leur tour les chemins de l’exil tracés avant eux par des millions de concitoyens. Un aller simple et sans retour. Les carnassiers abandonnèrent la chair convoitée des silhouettes au ventre
creux, puis se retirèrent un à un.
Deuxième citation
Chevalier
« Je vois qu’autour de moi on persécute mes amis, et moi on me laisse tranquille, bien que, s’il y a quelqu’un de nuisible, c`est moi. Évidemment, je ne vaux pas encore la persécution et j’en suis
honteux ».
Lev Nikolaïévitch TolstoïPère et fils, retenus comme beaucoup par une barrière, faute de visas en leur possession, observèrent la passerelle réservée en premier lieu pour les classes supérieures ; en bas de laquelle les attendait le contrôle des billets. Ivan prit Mikhaïl sur ses épaules et avança à son tour, suivi de Rachel et des Mendelssohn. Escortés par des policiers, ils par- vinrent à un ferry. Les baluchons, valises et malles s’accumulèrent sur le pont avant d’être hissés à bord. « Le transport serait de courte durée », les avait-on rassurés. Après le silence de la résignation, des rumeurs de refoulement
soulevant l’indignation, vint l’insurrection. « La course était payée. Nulle loi commerciale ne pouvait tolérer un tel affront. » Les gardes armés poussèrent les révoltés vers leur destin. Impuissants autant qu’hébétés, les malheureux se laissèrent exclure du sol américain. La poisse de la discrimination les poursuivait sans qu’on vérifiât un tant soit peu la légitimité de leur venue. Bien qu’ils eussent enduré
les affres de l’administration, ils se retrouvaient maintenant largués comme les amarres du traversier. Intrigués par la manœuvre de l’embarcation et insouciants des blessures de leurs parents, les jeunes Russes se précipitèrent vers la poupe. Des baraquements en briques occupaient la totalité de trois minuscules îlots reliés entre eux par des jetées. Sur l’un d’eux, une imposante bâtisse. Un château flanqué de tours et d’arches au rez-de-chaussée. Un palace ou une prison ? Avant de se retourner pour héler son père, Mikhaïl se retrouva plaqué contre un ventre inconnu.
« Nicolaï ! s’exclama-t-il en levant les yeux. Où étais-tu ? Je t’ai cherché partout.
– En quarantaine. À part les poux, je constate que tu es en bonne santé, taquina-t-il en caressant le crâne de son compatriote. Tant mieux. Regarde l’île. C’est là que je vais connaître mon sort. Prie pour moi. »
Face à l’entrée de l’immeuble administratif, les migrants se ramifièrent en deux files de sexes opposés ; les jeunes garçons intimés de rester avec leur maman. Mikhaïl n’eut pas le temps de s’affoler de la séparation d’avec son paternel ; il fut entraîné dans une vaste salle traversée par des
rangées de bancs alignés et placés dos à dos pour recevoir des centaines de patients. Un stand de l’Union chrétienne des femmes pour la tempérance informait, à l’aide de tracts, pancartes et banderoles, des nouvelles dispositions votées depuis quatre ans.
Troisième citation
La nature
« L’humanité avance sans cesse dans la voie de la conscience de ses actes et de l’établissement de l’organisation sociale en accord avec les progrès de cette conscience. C’est pourquoi durant chaque période de la vie de l’humanité, nous voyons s’effectuer d’une part le processus de la conscience des actes et de l’autre la réalisation dans la vie de ce qui a été éclairci par elle. »
Lev Nikolaïévitch Tolstoï
Printemps 1926
À l’abri de la pluie, dans un diner de Pennsylvanie, Rachel attendait ses hommes occupés à trouver un logement. La petite bourgade, lovée dans une gorge flanquée de deux monts boisés, avait attiré la femme en recherche d’un nid pour se poser et pour faire le point sur les quatre mois écoulés. Après son licenciement, Ivan avait pris en charge Mikhaïl. L’école à la maison avait remplacé la classe publique et le travail mal payé des enfants. Un temps essentiel pour rattraper les premières années d’absence paternelle ; et les suivantes, à fuir ou se cacher. Dans l’impossibilité d’offrir à son garçon une guitare et des cours particuliers, du fait d’un salaire unique ne permettant pas
d’économiser, Rachel avait préféré changer de région. Pour offrir à Ivan un nouveau départ. Aux premiers bourgeons mouillés de neige, ils avaient mis le cap sur Baltimore. Rachel avait abandonné le projet de se rendre au Canada, trop loin et trop incertain ; avec lui, son intention de vivre en collectivité. En voyant ses chéris se frayer un chemin dans le rideau de tabac, les pieds traînants et le visage dégoulinant de lassitude, elle comprit qu’ils revenaient bredouilles.
Après avoir allongé le thé avec de l’eau bouillante, Rachel coupa la tarte au fromage blanc lui rappelant son pays. Sa déception était retombée aussi rapidement que les plantes au fond de la théière ; une infusion de douce saveur. Elle servit ses hommes, avec lenteur pour goûter à
cet instant de paix.
« Tu te souviens, Vania, de ta sortie du camp, remémora- t-elle. Maigre et affamé, tu as trouvé le moyen de te procurer un samovar en guise de présent.
– Tu n’as jamais raté la cérémonie du thé, renchérit Ivan. Quand il n’y en a plus, tu le remplaces avantageusement par des plantes aromatiques. Une tradition que tu n’as pas laissée de l’autre côté.
– Comme le disait maman, « on peut de tout faire une tourte, on peut de tout faire une vie ». Avec un morceau de pain, on trouve son paradis sous un sapin. La solution viendra après une bonne nuit.
– Tu auras bientôt une isba, la rassura, Ivan.
– Pas de promesse ! Vania. La maison, c’est moi qui la trouverai » trancha Rachel.